Le Dip, de Seth Godin

Les américains sont connus pour leur abondante littérature en matière de marketing et de développement personnel, leurs formules dithyrambiques et leur sens de la motivation. En voici donc un exemple avec Le Dip (2007), un mot américain signifiant descente, plongée (pensez aux chicken dips d’une célèbre marque de fast-food) mais que les éditeurs ont traduit par Défi Impossible ou Possible.

L’auteur, Seth Godin, est un blogueur reconnu et ancien du portail Yahoo!. Il a écrit plusieurs ouvrages au titre percutant, notamment Etes-vous indispensable ? et Tous les marketeurs sont des menteurs.

Pourquoi ce livre

Début 2014, je lisais sur un site américain un article traitant des blogueurs professionnels. On y parlait de la difficulté à écrire lorsque le site n’a encore aucun trafic. En cherchant sur le thème de la motivation, je suis tombé sur ce petit livre d’à peine 100 pages qui, c’est un plus indéniable, a été traduit en français. Oui, quoiqu’en pensent certains, je lis l’anglais, mais je préfèrerais toujours ma langue maternelle.

Seth Godin prétend nous expliquer pourquoi il est parfois plus intelligent de renoncer à certaines choses plutôt que de s’acharner. Il critique d’ailleurs la rengaine selon laquelle ceux qui réussissent sont ceux qui s’acharnent, afin de la nuancer : ceux qui réussissent sont ceux qui, ayant un objectif rentable à long terme, n’abandonnent pas au milieu du gué.

La renonciation est un phénomène courant dans notre société, à tel point que beaucoup de business sont basés dessus. Le livre cite l’exemple des compagnies aériennes qui vendent plus de billets qu’un avion n’a de sièges, en misant sur le fait que certains passagers ne se présenteront pas (p.48).

Qu’est-ce que le "dip" ?

C’est là où intervient le concept de Dip. Le dip, c’est la période qui suit la phase initiale de lancement d’un projet. Généralement longue, elle est caractérisée par de gros efforts et des résultats encore inexistants ou presque. Pour un blogueur, c’est la fameuse traversée du désert. C’est à ce moment que beaucoup abandonnent.

Godin explique alors qu’il faut parfois renoncer, et décrit trois façons d’agir. Deux sont bonnes : choisir un objectif et travailler dur pour l’atteindre, ou renoncer dès le début si l’on sait qu’on fait fausse route. La troisième, à proscrire, est de commencer à travailler puis renoncer en cours de route, c’est à dire pendant le dip, car on aura perdu du temps, et souvent de l’argent, sans aucun bénéfice.

L’auteur souligne que pendant le dip, on abandonne souvent pour des raisons de court terme. Il prend l’exemple d’un jeune qui étudie les arts martiaux, et qui renonce simplement parce que son professeur l’a secoué. Il explique aussi que pendant un marathon, le taux d’abandon augmente progressivement, ce qui est logique, jusqu’à ce que l’arrivée soit proche : à ce moment, tout le monde visualise la “récompense” de la course, ce qui a un effet motivant. Par conséquent, ceux qui réussissent sont ceux qui parviennent à se représenter l’objectif mentalement, même s’il est encore hors de vue.

Il conseille aussi de déterminer à l’avance les situations pouvant entrainer un renoncement. Pour reprendre l’exemple du marathon, si on décide que seules la pluie ou une tendinite sont des causes d’échec, alors on est plus sûr de continuer.

On apprend aussi que la renonciation n’est pas facile, et qu’on s’acharne parfois dans des entreprises vouées à l’échec simplement par orgueil. Un exemple est la navette spatiale américaine, un programme que personne n’a eu le courage d’annuler malgré son coût exorbitant, car elle représentait la fierté d’une nation (p. 54).

Pour Seth Godin, l’objectif qui doit motiver à franchir le dip, c’est d’être le meilleur du monde dans son domaine. Attention, il s’agit là d’un procédé très américain, qu’il ne faut pas prendre au sens littéral. Etre le “meilleur du monde”, c’est être le meilleur aux yeux de vos clients, donc dans un contexte géographique et temporel donné. Votre boulanger peut être le meilleur du monde pour vous, pas parce que son pain n’a pas d’équivalent sur la planète - vous auriez du mal à tous les tester - mais parce qu’il réunit plusieurs conditions qui sont indispensables pour vous : faire de bons produits évidemment, à un prix abordable, mais aussi être situé près de votre domicile, accepter tel ou tel mode de paiement, etc.

Les limites de la démonstration

Le style de Seth Godin est assez clair, quoique très anglo-saxon ; les paragraphes notamment sont juxtaposés sans liens, ce qui fait un effet bizarre à la lecture. Sur le fond, beaucoup de remarques font preuve de bon sens, même si parfois on a un peu l’impression que l’auteur enfonce des portes ouvertes.

Mais le problème de ce livre, c’est le passage au concret. Seth Godin nous dit par exemple que la réalisation d’un projet se compare à l’action de gonfler un pneu : les premiers kilos d’air sont sans effet apparent, le pneu reste mou ; seuls les derniers permettent de rouler. Et si on gonfle trop, le pneu éclate. Il entend nous démontrer par là qu’il faut s’investir jusqu’au bout, et qu’un projet surdimensionné par rapport à son marché est voué à l’échec. Admettons. Puis il nous dit de “choisir le pneu dont la taille est adapté à la pression dont on dispose” (p. 95). Très bien, mais comment fait-on cela ?

On l’aura compris, il s’agit ici d’un livre de principes généraux, destiné à interpeller, plus qu’un manuel qui vous aiderait à faire des choix importants. Typiquement américain, il vous laisse toutefois plus confiant qu’au départ : oui il faut savoir renoncer, mais pour mieux dégager des ressources vers un autre projet. Et une fois celui-ci engagé, il faut s’accrocher pour franchir le dip — cette phase qui fait la différence entre les gagnants et les perdants.


Un avis sur ce livre ? Donnez le moi sur Twitter 💬