Le futur du jeu vidéo
(article paru sur mon ancien blog Nébuleuses)
Il est loin le temps des premiers ordinateurs grand public, où un jeu vidéo consistait en quelques pixels verts clignotants sur fond noir, et chargés via un lecteur de K7. Pendant plus de vingt ans, il a évolué de façon continue et impressionnante : graphismes de plus en plus beaux, diversification des genres (simulation, FPS, stratégie, etc.) et apparition du mutijoueur en réseau local ou via internet.
Mais basiquement ses fondements sont restés les mêmes : c’est un logiciel comme un autre, il est exécuté localement sur la machine de l’utilisateur, la seule innovation ayant été l’apparition de la carte graphique dans les années 1990.
Il est depuis longtemps concurrencé par la console, mais là où certains prédisaient la fin de l’un ou de l’autre, les deux ont pour l’instant trouvé leur public et coexistent sans problème.
Pourtant cette ère pourrait bientôt toucher à sa fin. De nouveaux modes de jeu apparaissent. Très vite, ils pourraient provoquer une révolution dans le domaine du divertissement électronique.
Le coup d’envoi a été donné par le jeu « hybride », c’est à dire tournant sur l’ordinateur mais exécuté via un plugin du navigateur web. S’il est possible depuis longtemps de trouver des petites applications ludiques en flash, on peut maintenant jouer à un FPS via Firefox ou Safari. C’est le cas de Quake Live, actuellement en version beta mais parfaitement fonctionnel. Et qui a la bonne idée d’être gratuit – pour le moment.
Je vois d’ici la critique : quelle différence avec une installation standard sur l’ordinateur, sachant que Quake Live doit bien entendu, lors de la première connexion, télécharger l’intégralité des fichiers du jeu ?
Ceux qui ont souvent essayé de jouer en réseau sur des plateformes différentes (ex. un Mac avec un PC) attendent cela depuis longtemps : la compatibilité. Le jeu fonctionne dans le navigateur, donc plus de problème de versions différentes ou de patchs : les mises à jour sont automatiques.
Pour les développeurs, la problématique du portage de l’application est résolue elle aussi, ce qui est une particulièrement bonne nouvelle sous Mac où la logithèque est réduite et coûteuse (pas ou peu de promotions ou de versions « budget »). Un jeu compatible avec Firefox tournera sur tous les OS où celui-ci a été porté.
Bien sûr, Quake Live est basé sur Quake 3 Arena, un jeu sorti en 1999, c’est à dire une éternité. Il est donc techniquement dépassé, mais il ne s’agit que d’un début. Il est aussi amorti depuis longtemps, ce qui explique la gratuité. Mais les dernières superproductions d’Electronic Arts ou d’Ubisoft pourraient fonctionner sur le même principe, moyennant finances bien sûr.
Cela dit, on nous promet pour très bientôt des débits encore plus importants grâce à la généralisation de la fibre optique. Alors, pourquoi ne pas se reposer encore plus sur l’internet et supprimer, tout simplement, le logiciel ?
Cette idée n’est plus une piste de recherche mais sera bientôt une offre commerciale bien réelle. OnLive, un service présenté au GDC 2009 de San Francisco, utilise le principe du streaming pour envoyer en temps réel les images vers l’ordinateur du joueur.
Le jeu tourne sur un serveur distant, ce qui implique qu’il n’est plus nécessaire de posséder une machine dernier cri : ce n’est plus votre matériel mais celui du fournisseur qui supporte la charge de calcul. Là non plus, plus besoin de se préoccuper des versions ou des mises à jour.
Le problème, à mon sens, vient d’abord de la faisabilité technique : peut-on aujourd’hui offrir simultanément à des milliers de clients la bande passante et la qualité de service nécessaire à un tel flux de données ? Rappelons nous la fin des années 1990, où des soi-disant experts annonçaient l’apparition imminente du « network computer » alors même que les données s’échangeaient avec… des modems 56 kbps !
Ensuite, il y a le modèle économique : il est peu probable qu’un seul paiement soit réclamé par OnLive au client : un abonnement est beaucoup plus rémunérateur. Même s’il est modéré et donne accès à plusieurs jeux, quand jusqu’ici on n’achetait qu’une boite à la fois, il représentera à la longue un coût beaucoup plus élevé.
L’exemple de World of Warcraft est très parlant : 13 euros par mois tout de même, contre 60 euros en moyenne une fois pour toutes pour un jeu classique. Si vous jouez pendant un an, faites le calcul. Et une fois l’accès résilié, toute votre logithèque disparait d’un coup.
En outre si la formule prend et que l’industrie du jeu vidéo adopte massivement le streaming, le risque est que l’offre de jeux se réduise à ceux ayant le public le plus large.
Certes ils bénéficieront des meilleurs graphismes, mais la nécessité de rentabiliser les infrastructures, comme les serveurs, poussera les fournisseurs du service à se focaliser sur les productions les plus consensuelles et à écarter celles trop originales, à l’audience réduite.
Le scénario n’aura plus une grande profondeur, histoire de ne pas rebuter le joueur moyen, et l’offre en matière de simulation ou d’action sera sûrement majoritaire face à celle en stratégie ou en réflexion. Bref, un syndrome d’uniformisation et de nivellement par le bas qui frappe aujourd’hui bien d’autres secteurs.
D’ailleurs, si cette technique s’impose, elle marquerait sans doute la fin de l’ère de l’ordinateur en tant que station de travail autonome, et le début de celle de l’ordinateur connecté dénué de toute « intelligence » propre.
Avec quelques années de retard, les prophéties délirantes de la bulle internet deviendraient alors réalité, mais pas forcément au bénéfice des joueurs.
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